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La Mort Filmée de George Floyd

4 juin 2020

Les vidéos de violences policières commises contre des Afro-Américains ont plusieurs fois mobilisé l’opinion, sans pour autant permettre la condamnation de leurs auteurs.

Entretien d’Antoine Flandrin avec Christian Delage, Le Monde, 3 juin 2020

Quelle a été votre réaction en découvrant la vidéo montrant l’assassinat de George Floyd ?

La première vidéo qui a été diffusée, sur laquelle on voit Derek Chauvin, officier du Minneapolis Police Department, étouffer délibérément George Floyd, citoyen africain-américain, pendant de longues secondes, provoque la sidération. On est frappé par le calme et la détermination du policier, imperturbable face aux cris de George Floyd. Il y a une forme de déshumanisation de l’autre qui est insupportable. Une seconde vidéo a commencé à circuler, montrant, près de ce policier, un de ses collègues, Tou Thao, qui ne bouge pas et semble surveiller la circulation, vraisemblablement pour s’assurer qu’il n’y ait pas trop de témoins. Toutefois, il n’intervient pas quand une passante filme. Ces images confirment ce qu’on voit sur une autre vidéo, prise de l’autre côté de la rue, montrant que trois autres policiers, présents, l’ont laissé faire. L’homicide commis par le policier s’accompagne donc, pour ses collègues, d’une forme de complicité, en raison de la non-assistance à personne en danger. Pour quiconque a vu ces images terribles, pas de doute : il s’agit bien d’un homicide volontaire, la victime ayant fait comprendre au policier qu’il ne pouvait plus respirer – et donc que sa vie était en danger. Pourtant, il a fallu attendre plusieurs jours pour que le policier soit arrêté et pour que le procureur du comté de Hennepin, où Floyd est décédé à l’hôpital, l’inculpe pour « meurtre (au 3e degré) et homicide involontaire ». Au-delà de l’émotion que provoquent ces images, ce qui frappe, c’est qu’en plus des images filmées par les passants, on a une vidéo d’un policier qui avait une caméra portée – les images sont d’ailleurs neutres par rapport à l’événement – et des images provenant de deux caméras de surveillance qui ont fonctionné au carrefour de l’East 38th Street et de Chicago Boulevard, à l’endroit de l’interpellation. On a donc un ensemble significatif de vidéos, ce qui est rare dans ce genre d’affaire.

Ces vidéos en rappellent d’autres sur des violences policières contre des Afro-Américains. Quel rôle l’image joue-t-elle dans ces affaires ?

Les premières images des violences contre les Africains-Américains sont des photographies de lynchage, dont la caractéristique est qu’elles ont été prises non pas par des témoins, mais par des gens qui sont réunis pour assister à l’événement. Après 1945, d’autres exactions sont commises contre les Africains-Américains, mais les images deviennent rares. Les auteurs des violences essaient de les cacher pour éviter les procès. La vidéo du tabassage d’un automobiliste africain-américain, Rodney King, par des officiers du Los Angeles Police Department (LAPD), en 1991, constitue un tournant majeur. Les images des coups portés, immortalisés par un voisin témoin de la scène, qui avait eu le réflexe de prendre sa nouvelle caméra, jouent un rôle central et pionnier dans la reconnaissance de ce type de violences policières et leur mise en jugement. Ces images ont un rôle spécifique, dans la mesure où elles montrent les violences commises sur Rodney King, mais aussi général parce qu’elles parlent pour tous les actes similaires qui n’ont pas été montrés.

Le rôle d’alerte de ces images est incontestable. Quelle est leur valeur judiciaire ?

Elle est faible. Lors du procès intenté contre les policiers qui avaient tabassé Rodney King, le procureur avait été catégorique : « Cette bande vidéo montre de façon décisive ce qui s’est passé cette nuit-là. C’est quelque chose qui ne peut être réfuté. Tout le monde peut le constater. C’est l’élément de preuve le plus objectif qu’on puisse avoir. » Cependant, contre toute attente, la défense s’était également emparée de la vidéo et avait décidé d’en faire un élément de preuve à décharge, c’est-à-dire de l’utiliser pour innocenter les policiers. Au lieu de projeter devant la cour et les jurés les images de la vidéo en mouvement, elle avait choisi de les découper en images fixes, qui décomposaient les gestes des policiers en les rendant, un par un, conformes au comportement prescrit par le manuel du LAPD. Le jury, majoritairement blanc, déclara alors les policiers non coupables, provoquant d’importantes émeutes à Los Angeles. Le 1er mai 1992, le président des États-Unis, George H. W. Bush, donna son opinion sur ce procès : « Ce que vous avez vu, et ce que vous avez vu sur cette vidéo, est révoltant. J’ai ressenti de la colère, j’ai ressenti de la peine. Les leaders des droits civiques, et de simples citoyens redoutant la brutalité policière dont ils sont parfois victimes ont été profondément choqués. » En résultèrent un second procès, où les policiers furent finalement condamnés, et une initiative, celle d’équiper les policiers de caméra pour contrôler leur travail.

Si l’affaire Rodney King a été résolue, bien d’autres, entraînant cette fois-ci la mort de la personne interpellée, sont restées dans l’ombre ou sans jugement équitable. Comment l’expliquez-vous ?

Les années 2010 ont effectivement été marquées par de nombreuses violences contre des jeunes Africains-Américains. Dans la plupart de ces affaires, des images ont été prises par des caméras de surveillance (John Crawford III, tué par un policier le 5 août 2014), ou des téléphones portables, montrant le moment de la fusillade (Kajieme Powell, abattu le 19 août 2014) ou l’immédiat après-coup (dans le cas de l’affaire Trayvon Martin, tué le 26 février 2012). Leur viralité sur les réseaux sociaux et leur reprise sur les chaînes d’information n’ont pourtant pas modifié le cours du jugement éventuel des responsables de ces morts. Sans pouvoir commenter la décision du jury à propos de la mort de Trayvon Martin, le président Obama avait fait une déclaration très explicite sur la question de l’existence passée et de la présence actuelle d’un racisme anti-noir aux Etats-Unis : « Vous savez, lorsque Trayvon Martin a été abattu, j’ai dit qu’il aurait pu s’agir de mon fils. Une autre façon de le dire, c’est qu’il y a trente-cinq ans, j’aurais pu être Trayvon Martin. » Que cette histoire peine à se terminer, il n’a pas fallu longtemps pour s’en apercevoir. Le 9 août 2014, Michael Brown, un autre jeune Africain-Américain, âgé de 18 ans, est abattu par un policier blanc, Darren Wilson, à Ferguson, dans le Missouri. Trois mois plus tard, le grand jury du comté de Saint-Louis classe l’affaire sans suite. Puis c’est le tour de Kajieme Powell, d’Ezell Ford, de John Crawford III et d’Eric Garner, tous tués par des policiers. Contrairement à l’opinion commune que nous vivons désormais dans une société dominée par la puissance immédiate de signification, de diffusion et de conviction de l’image instantanée, il faut bien se rendre à l’évidence : comme les autres sources documentaires ou pièces à conviction, celle-ci ne prend sens que dans une démonstration où, la plupart du temps, elle doit être croisée avec d’autres documents pour tenter d’établir une vérité, elle-même forcément contradictoire si elle émerge d’un processus judiciaire. Deux questions se posent alors : l’instance judiciaire, saisie de cette image, est-elle en mesure d’en contrôler les effets sur les spectateurs que sont les membres d’un jury, et sur son éventuelle instrumentalisation par l’une ou l’autre des parties ? Le comportement d’un policier équipé d’une caméra portée dans l’exercice de ses fonctions est-il modifié face à des Africains-Américains, identifiés davantage que d’autres à un danger potentiel pour sa sécurité comme pour celle de la population ? Ses attitudes devraient être encadrées par la procédure standard d’opération de la police, mais il n’y a pas de contrôle réel.

George H. W. Bush, puis Barack Obama étaient intervenus pour apaiser la situation. Quelle lecture faites-vous de l’intervention télévisée du président Trump ?

Dès l’annonce de la mort de George Floyd, la première vidéo est immédiatement devenue virale sur les réseaux sociaux, déclenchant des manifestations dans plusieurs grandes villes, et des émeutes à Minneapolis. A l’évidence, les conseillers de Donald Trump l’ont convaincu de montrer de la compassion envers la famille de la victime et de reconnaître qu’« une telle chose n’aurait jamais dû arriver ». Il commence donc par lire les notes qui sont devant lui, mais on voit, quand il lève les yeux, qu’il ne peut s’empêcher de reprendre la main. Ainsi retrouve-t-il le registre vulgaire qui est le sien – lorsqu’il dit que les Floyd sont « des gens super » [« terrific people »] – et dévoile-t-il le fond de sa pensée. Concluant que Jacob Frey, le maire démocrate de Minneapolis, est faible et n’a pas su gérer la situation – l’intéressé a aussitôt protesté –, il annonce qu’il a envoyé la garde nationale et que l’affaire va être traitée au niveau fédéral. Alors que George H. W. Bush avait déplacé l’affaire au niveau fédéral parce qu’il y avait une atteinte aux droits civils, Trump le fait pour donner l’impression que lui seul peut gérer la situation.

Que font les forces de l’ordre pour améliorer la prévention et la gestion des violences policières ?

Barack Obama avait repris et renforcé ce qui avait été décidé après l’affaire Rodney King, en 1991 : l’achat de matériel vidéo, mais aussi l’encouragement à rapprocher la police des organisations de défense des libertés et des représentants des communautés pour suivre les effets d’une telle mesure. A l’époque, le Department of Justice annonçait vouloir construire un « engagement à instaurer la confiance et la transparence ». Ces mesures ne se sont pas révélées suffisantes pour endiguer un racisme qui vise particulièrement la communauté africaine-américaine, elle-même soumise à une forme récurrente de paupérisation et privée de positions sociales désormais prises par d’autres communautés, comme celle à laquelle appartient le collègue de Derek Chauvin, Tou Thao, d’origine hmong, issu de l’émigration de réfugiés en provenance du Sud-Est asiatique après la guerre du Vietnam.

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Avec James Nolan, Christian Delage, Virginie Despentes
04/06/2020 Par Matthieu Garrigou-Lagrange et Didier Pinaud  

Les émeutes qui font suite à la mort de George Floyd sont l’occasion, pour de nombreuses voix, d’analyser les rapports entre police et citoyens racisés, aux Etats-Unis mais aussi en France.

Vieux démons policiers.• Crédits : SOPA Images / LightRocket – Getty

L’histoire se répète et c’est comme si rien ne pouvait changer. La plupart des observateurs rappelle les nombreux épisodes d’émeutes faisant suite à des violences policières envers des minorités, sans que rien ne semble évoluer dans le bon sens. Le phénomène paraît même structurel, comme l’explique le sociologue américain James Nolan dans Libération. Pour lui, ces violences s’expliquent par l’état d’esprit des forces de l’ordre :

« La tentation est grande de dire qu’il s’agit de l’acte isolé d’un officier pourri, qu’il suffit d’arrêter et de mettre en prison. Mais le problème, c’est surtout la manière dont la police fonctionne aux Etats-Unis, c’est-à-dire essentiellement comme une force de maintien de l’ordre militarisée ».

Selon lui, le problème vient de ce que les policiers ont une vision extrêmement étroite de leur rôle puisqu’ils « intériorisent une vision du monde qui vient du jeu auquel ils jouent […] : nous sommes les gentils et nous cherchons les méchants. […] Si les policiers jouaient une autre partie, ils ne viendraient pas avec des blindés, armés jusqu’aux dents. Mais dans leurs têtes, même s’il y a de la police de proximité, le vrai truc de la police, c’est la guerre ».

En raison de cet état d’esprit qui place chaque policier en état de guerre perpétuelle, il semble peu probable que la situation évolue : « malheureusement, le licenciement de ceux qui ont tué George Floyd ne fera rien pour empêcher que ce genre de situation ne se reproduise. Même s’ils sont condamnés à la peine de mort, la violence continuera, car elle apparaît comme nécessaire, comme dans une guerre ».  Le préalable serait de « mettre fin à la guerre ». Une vraie révolution, qui commencerait, dit-il, par cesser de récompenser les policiers en fonction du nombre de personnes interpellées.

La politologue Nicole Bacharan va dans le même sens dans un entretien donné aux Inrocks : « il y a plus de 360 millions d’armes qui circulent aux Etats-Unis. Les policiers, eux aussi, ont peur, et vivent dans une tradition du maintien de l’ordre extrêmement brutale. Durant les quinze dernières années, les départements de police ont pris pour habitude d’acheter à l’armée des surplus militaires provenant des guerres d’Irak et d’Afghanistan, ce qui fait que des snipers et des véhicules blindés circulent dans les villes. Barack Obama avait mis un terme à cette pratique après les émeutes de Ferguson en 2014, et Donald Trump l’a réautorisée ensuite. Tout cela fait que l’on a une police qui patrouille de manière très militaire ».

Les vidéos qui alertent

Filmer les violences policières serait-il le début d’une solution ? Pas tant que cela, constate l’historien et réalisateur Christian Delage, dans un entretien accordé au journal Le Monde. Il constate que les vidéos n’ont pas protégé George Floyd : « Ce qui frappe, c’est qu’en plus des images filmées par les passants, on a une vidéo d’un policier qui avait une caméra portée […] et des images provenant de deux caméras de surveillance qui ont fonctionné au carrefour de l’East 38th Street et de Chicago Boulevard, à l’endroit de l’interpellation. On a donc un ensemble significatif de vidéos, ce qui est rare dans ce genre d’affaire ».

De manière générale, poursuit l’historien, les vidéos de violence ne constituent pas des documents suffisants pour faire condamner leurs auteurs : « comme les autres sources documentaires ou pièces à conviction, celle-ci ne prend sens que dans une démonstration où, la plupart du temps, elle doit être croisée avec d’autres documents pour tenter d’établir une vérité, elle-même forcément contradictoire si elle émerge d’un processus judiciaire ».

En France, une proposition de loi controversée

Bien qu’elles ne constituent pas la preuve parfaite, les vidéos peuvent tout de même servir à dénoncer certains agissements. Empêcher de filmer et diffuser des images de ces violences, comme le propose le député Eric Ciotti, serait « une des loi scélérates qui bafouent nos droits fondamentaux », ainsi que le dénonce le collectif Urgence notre police assassine.

Dans le HuffPost, l’avocat Vincent Brengarth va dans le même sens, en arguant que « ces vidéos gênent le pouvoir, car elles permettent de révéler au grand jour des pratiques, parfois usuelles, dont l’impunité était acquise par la difficulté à rassembler des preuves ».

Et il poursuit : « dans un souci de préserver notre équilibre social, le législateur devrait avoir pour principal objectif de restaurer un lien de confiance déjà bien entamé entre la force publique et la population. Cette proposition de loi, outre le fait qu’elle va à l’encontre de ce but, laisse présager une connivence étroite entre un pouvoir politique et une force publique qui bénéficierait ainsi d’une forme d’impunité dans ses actions ».

Dans le sillage des événements américains, une tribune paraît aussi en France pour rappeler l’importance d’une police qui travaille avec les habitants et non contre eux. Les responsables de l’association Agora des citoyens, de la police et de la justice disent ceci dans Le Monde :

« Il est absolument nécessaire que des initiatives courageuses et fortes voient le jour pour créer ces liens qui, en partant du terrain, rebâtiront la confiance. […] Les idées ne manquent pas : débats ouverts à tous, rencontres culturelles ou sportives – qui, au-delà du simple match de foot, doivent être considérées comme vecteur d’échange sous une bannière commune – sont autant de possibilités qui permettent d’installer les conditions d’une rencontre dans un cadre libre ».

Racisme en France et aux USA

Mais le racisme en France n’est pas le même qu’aux Etats-Unis, comme le rappelle le philosophe Frédéric Neyrat dans Lundi Matin : « ce racisme structurel exprime le caractère parataxique de la réalité états-unienne, c’est-à-dire : sans médiation entre ces diverses composantes sociales, économiques, et culturelles. Les rapports de classe et de race sont incomparablement plus violents aux U.S.A. qu’en France, puisqu’il m’est possible de comparer les deux. Non que la violence raciale soit absente de France, ce que Le Comité Adama, parmi d’autres, nous rappelle à chaque instant, et non que la France ne soit pas aussi violemment un pays divisé en classes. Mais il existe en France entre ces classes et ces races des médiations, aussi minimales soient-elles, qui permettent que s’établisse ne serait-ce qu’un semblant de communication. C’est ce semblant que je ne vois pas aux U.S.A., pays dans lequel manque cruellement une sphère publique effective. Le réel du non-rapport de classe et de race n’est affublé d’aucune tentative de camouflage ; à sa place même, on construit des murs ».

Selon lui, les pillages qui font suite aux manifestations ne sont pas sans lien avec le coronavirus : « ce que le coronavirus a mis à ciel ouvert dans la faille qui sépare et les races et les classes, c’est pour les populations Noires tout ce qui leur manque : une sécurité sociale, des salaires décents, une stabilité de logement pour ceux qui sont condamnés à des déplacements (par exemple suite à des fermetures d’école). […] L’on se rappellera la fameuse phrase de Martin Luther King – « une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas entendus » ».

Pour l’historien et professeur à Sciences Po Pap Ndiaye seule une voix collective et populaire puissante pourrait mettre fin au racisme dans la police. Il l’écrit dans Jeune Afrique :  « face à cette situation inadmissible dans une grande démocratie, le gouvernement fédéral est relativement démuni : certes, le ministère de la Justice peut engager des poursuites pour violation des droits civiques, mais les Cours de justice donnent toute latitude aux policiers pour décider d’user de leurs armes s’ils estiment que leur vie est en danger. Dès lors, seule une voix collective populaire et puissante est susceptible de faire évoluer les choses. Par exemple, en faisant que le meurtrier de George Floyd soit inculpé de meurtre et non d’homicide involontaire ».

Le racisme, Virginie Despentes a choisi d’en faire sa lettre d’intérieur pour France Inter.

Une lettre « adressée à mes amis blancs qui ne voient pas le problème ». Ce problème, dit-elle, n’est pas de ne pas être raciste, mais de ne pas voir que les minorités subissent ce racisme : « Je suis blanche. Je sors tous les jours de chez moi sans prendre mes papiers. Les gens comme moi c’est la carte bleue qu’on remonte chercher quand on l’a oubliée. La ville me dit tu es ici chez toi. Une blanche comme moi hors pandémie circule dans cette ville sans même remarquer où sont les policiers. Et je sais que s’ils sont trois à s’assoir sur mon dos jusqu’à m’asphyxier – au seul motif que j’ai essayé d’esquiver un contrôle de routine – on en fera toute une affaire. Je suis née blanche comme d’autres sont nés hommes. Le problème n’est pas de se signaler « mais moi je n’ai jamais tué personne » comme ils disent « mais moi je ne suis pas un violeur ». Car le privilège, c’est avoir le choix d’y penser, ou pas. Je ne peux pas oublier que je suis une femme. Mais je peux oublier que je suis blanche. Ça, c’est être blanche. Y penser, ou ne pas y penser, selon l’humeur. En France, nous ne sommes pas racistes mais je ne connais pas une seule personne noire ou arabe qui ait ce choix »

Le terme de « Pillages »

Dans le même ordre d’idées, la doctorante en civilisation américaine Esther Cyna revient sur le terme de pillage, employé différemment quand il s’agit de blancs ou de noirs : « parler de pillage pour les vitrines brisées de magasins, emblèmes d’un capitalisme raciste, est loin d’être anodin. Le terme situe la violence à l’échelle d’un individu, décrédibilise un mouvement légitime, et renforce des stéréotypes racistes ».

Car des pillages, au détriment des populations noires, il y en a eu de nombreux dans l’histoire : « les villes américaines sont construites sur le pillage de richesses. Tout au long du XXe siècle, les personnes noires se sont vu refuser l’accès aux taux avantageux des prêts immobiliers réservés aux personnes blanches. Des cartes de toutes les villes américaines montrent comment les agents immobiliers, financés par l’État fédéral, ont exclu les personnes issues de quartiers connus comme étant peuplé par des populations noires de leurs prêts, en indexant les taux des prêts à la race identifiée de leur clientèle. Ce processus de discrimination bancaire, connu sous le nom de « tracé de ligne rouge» en référence aux cartes utilisées, est un exemple parmi des centaines de pillage promu par l’Etat fédéral étatsunien, dont les conséquences financières furent dévastatrices ».

L’élection en ligne de mire

Dans The Conversation, l’universitaire Jérôme Viala-Gaudefroy rappelle comment le racisme est toujours présent en Amérique malgré le passage d’Obama à la Maison-Blanche, et comment Donald Trump lui-même encourage dans ses discours les violences policières.

Pour lui, difficile encore de dire qui en profitera, électoralement parlant :  « il est, à ce stade, difficile de prévoir qui va bénéficier électoralement de cette situation. Une analyse de l’impact des protestations violentes de 1968 montre que celles-ci ont sans doute provoqué un déplacement du vote des blancs vers les républicains et ont fait basculer l’élection. Toutefois, c’est un républicain qui est à la tête de l’État, pas un démocrate ; et c’est généralement le président qui est tenu responsable des grandes crises nationales. Reste à voir si le récit victimaire et accusatoire de Donald Trump et de ses alliés, concernant les tensions raciales, les émeutes ou le coronavirus convaincra l’ensemble de l’électorat blanc qui l’a soutenu en 2016… ».

Si la France ne veut pas devenir les États-Unis, il lui reste à inventer un nouveau dialogue entre la police et les minorités, afin de tisser, petit à petit, une confiance mutuelle. C’est un sujet politique pour notre pays également.

Matthieu Garrigou-Lagrange, Didier Pinaud et l’équipe de la Compagnie des Œuvres