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Vie du réseau des correspondants

Nouvelle enquête du Réseau des correspondants 2024-2027

Responsables scientifiques de l’enquête :
Laurent BESSE, Maître de conférence en histoire contemporaine, Université de Tours (IUT)
Samuel BOUSSION, Maître de conférence en sciences de l’éducation, IHTP-CNRS – Université Paris VIII-Saint-Denis
Coordonnatrice : Bénédicte HÉRAUD, ingénieure d’étude CNRS, IHTP-UMR8244

Jeunesses rurales, années 1950-1960

« Longtemps Claire avait tu ses enfances, non qu’elle en fût honteuse ni orgueilleuse, mais c’était un pays tellement autre et comme échappé du monde qu’elle n’eût pas su le convoquer à coups de mots autour d’une table avec ses amis de Paris. Elle avait laissé les choses parler pour elle. »

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Paris, Buchet-Chastel, 2012. 


Nous souhaitons initier le lancement d’un nouveau projet de recherche porté par le réseau des correspondants de l’Ihtp à partir de 2024, pour lequel nous vous proposons de travailler sur une histoire des jeunesses rurales dans les années 1950 et 1960.

I Genèse et objet d’une enquête

La jeunesse est un objet arpenté depuis longtemps par les sciences humaines et sociales, en rapport avec son poids dans l’espace social, également parce qu’elle est considérée comme étant à l’avant-garde des transformations de la société. À l’heure où se posent de nombreuses questions sur les équilibres territoriaux en même temps que sur la place des jeunes, il nous semble pertinent de croiser les problématiques de la jeunesse et du rural en plaçant la focale sur les premières décennies d’après-guerre, marquées par des mutations déterminantes. La France connaît alors une explosion démographique et un rajeunissement de sa population. Le nombre des 15-24 ans passe de six millions en 1954 à huit millions en 1968, justifiant la fameuse formule de « montée des jeunes »[1]. Dans le même temps, les zones rurales connaissent une transformation brutale, caractérisée notamment par un exode massif, surtout de jeunes partis vers les espaces urbains construire une partie de leur autonomie, par les études ou le travail, tandis que régresse l’emploi agricole.

La jeunesse est une construction sociale. Elle reste soumise aux représentations des contemporains, nourries dans ces décennies notamment par les médias, qui lui accordent dans les années 1960 une importance inédite, qu’on ne retrouve plus par la suite non plus. À mesure que s’allonge la scolarité, que se généralise l’enseignement secondaire et que la poursuite d’études supérieures devient moins rare, la figure du jeune « étudiant » tend à recouvrir l’ensemble des manières de vivre sa jeunesse, la jeunesse travailleuse des campagnes devenant l’une des moins visibles. Des cultures juvéniles spécifiques s’affirment (musique, mode, pratiques sociales etc.), fondamentalement urbaines, posant les jeunes des villes en avant-garde de la consommation et de la modernisation du pays. Mais, radicalisant une opposition déjà perceptible au cours des périodes antérieures, les propos sur la jeunesse considérée comme porteuse d’avenir, s’accompagnent d’autres discours tout aussi abondants qui témoignent d’une peur devant la remise en cause de l’ordre social dont les jeunes incarneraient l’énergie négative. Cette thématique est mise en avant au moment du phénomène « Blousons noirs » à partir de 1959, qui consacre la figure du jeune ouvrier désœuvré des quartiers populaires des grandes villes. « Jeunesse qui va bien, jeunesse qui va mal », pour reprendre les mots de Françoise Tétard, historienne qui a été une des pionnières de l’histoire de la jeunesse[2]. Les jeunes ruraux en semblent alors de plus en plus invisibilisés, réduits à leur statut de migrants[3] vers la ville, lieu d’avènement de la société de consommation, en même temps que symptômes du déclin rural.

Il en résulte peut-être, plus qu’à n’importe quelle autre période, la construction d’un « stigmate rural », fabriqué au cœur de cette interaction, qui tend à discréditer et affecter l’identité sociale du jeune rural, dont en filigrane on pourrait tenter de retracer l’histoire[4]. La question du supposé retard rural n’est pas inédite mais elle prend une acuité plus forte dans une société désormais majoritairement urbaine, se déclinant également pour les acteurs par un « sentiment d’infériorité » ou un « complexe ». Elle concerne également plus spécifiquement les jeunes ; par exemple, dans la réforme de l’enseignement agricole de 1960, la question de l’équivalence avec l’Éducation nationale est posée en des termes d’égalité avec les jeunes urbains.

II Bornes chronologiques

C’est du reste au cœur de ces brutaux bouleversements des années 1950-1960 que l’histoire rurale a pris sa source, dans l’idée d’entretenir la mémoire d’un monde en train de disparaître et de tenir compte des franges populaires de la société[5]. Si les études historiques sur le monde rural se sont développées, les études portant spécifiquement sur les jeunes sont encore trop peu nombreuses à porter au-delà du XIXe siècle, là où se dessine déjà une distension des liens entre jeunesse et les communautés villageoises[6]. A fortiori, les travaux sur la jeunes ruraux des années 1950-1960 manquent encore même si le champ d’une histoire de la jeunesse se dessine peu à peu, dans sa dimension politique et culturelle par exemple[7], ou plus récemment à travers son intégration socio-économique, par le travail notamment[8]. Mais l’histoire des jeunes n’a encore jamais été abordée de front, alors que les travaux de sociologues abondent depuis quelques années, notamment dans la problématique sociale des campagnes dites « en déclin »[9], mais également dans une approche genrée afin de saisir les éventuelles spécificités rencontrées par les jeunes femmes du milieu rural[10].

III Axes de recherche

C’est pourquoi nous suggérons de partir de quelques thèmes, non exhaustifs qui seront enrichis par vos suggestions et par ce qui va sortir des trouvailles d’archives. Ils cherchent à embrasser de nombreuses questions posées par la jeunesse rurale, en particulier sous l’angle de la construction d’un stigmate rural, orientation qui ne doit pas être exclusive. Ainsi, il nous semble d’abord coexister différents regards sur la jeunesse rurale, qui ont tendance à l’assigner à certains stéréotypes. Ensuite, l’école et le travail représentent des horizons communs à ces jeunes, mais qui connaissent des ajustements très importants dans les années 1950-1960. L’un d’entre eux est notamment la question du départ, provisoire ou à plus long terme, pour y faire des études ou travailler, en tous les cas commencer à faire sa vie hors du monde rural et délimitant alors la population juvénile entre « ceux qui restent et ceux qui partent ». Une autre direction pourra se situer dans les marges de cette jeunesse, à travers la jeunesse rurale dite « irrégulière », ou « inadaptée » selon les classifications des décennies qui nous occupent. Enfin, nous prêterons une attention particulière à l’expression de ces jeunes, aussi bien collective et organisée qu’individuelle et spontanée.

Regards sur la jeunesse

Dans ces décennies, la jeunesse devient objet de savoirs, venant d’experts, de professionnels et plus largement d’observateurs de la vie sociale[11], qui prennent conscience des changements en cours. Progressivement, cela semble être également le cas de la jeunesse rurale, notamment au prisme de l’exode et de ses supposés retards. Des sources littéraires, filmiques ou télévisuelles pourraient ainsi être mobilisées pour essayer de repérer les représentations dominantes des jeunes ruraux, de leurs difficultés, mais également de leurs attentes, qui ne sont pas toujours celles qui leur sont prêtées. Le maillage de certaines institutions médicales, sociales et éducatives qui s’invitent au cœur du monde rural s’affine au fil des années 1950. Par exemple, s’ils existent depuis l’entre-deux-guerres, les services sociaux ruraux se déploient plus largement après-guerre, au gré également de l’édification de la protection sociale et de la Mutualité sociale agricole. Les archives de celle-ci, versées dans de nombreux services départementaux d’archives, pourraient ainsi mettre à jour ce regard sur les jeunes ruraux. On pourrait également interroger ce regard à travers les écrits de jeunes professionnel.le.s plongé.e.s en milieu rural au contact des jeunes, que l’on pense par exemple aux assistantes sociales, dont certaines ont effectué pendant leurs études un stage en service social rural, mais également des enseignan.t.es, voire des prêtres. Dans un registre proche, songeons également aux rapports des chefs d’établissements scolaires, ceux des conseillers d’orientation professionnelle psychologues, peut-être ceux de la médecine scolaire – si des archives autres que des dossiers individuels existent.

Entre scolarité et travail

Les années 1950-1970 connaissent d’importantes transformations de l’école et des structures de formation, avec l’allongement des scolarités qui commence dès l’après-guerre et qu’accentue l’ordonnance Berthoin de 1959 (scolarité à 16 ans[12]). L’essor de l’enseignement secondaire général au cours des années 1960 est le phénomène le plus visible, mais il ne doit pas faire oublier celui dès la décennie précédente des filières techniques courtes (dites aujourd’hui « professionnelles »), dont le diplôme de référence est le Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) : en 1965, plus de 250 000 sont délivrés, contre moins de 100 000 baccalauréats[13]. L’ouverture de centres d’apprentissage devenus collèges d’enseignement techniques (CET) dans le monde rural, le départ de jeunes ruraux vers les villes le temps de leur formation, transforment leurs manières de vivre leur jeunesse, surtout pour les garçons, dont beaucoup sont désormais amenés à faire l’expérience de l’internat. Pour les plus jeunes, la multiplication des Collèges d’enseignement général (CEG) puis des Collèges d’enseignement secondaire (CES) dans les années 1960 modifie aussi le cadre de l’expérience. Par ailleurs, la profonde restructuration des formations agricoles (loi de 1960), répond au besoin d’adapter l’agriculture française au marché commun mais également de trouver un avenir à ceux des enfants de paysans qui ne pourront rester à la terre[14].

Les réalités scolaires des années 1950 et même 1960 sont assez mal connues, surtout pour le monde rural. Les archives des rectorats, inspections académiques, de certains établissements scolaires, jointes à la presse mais également aux témoignages pourraient permettre de documenter les conditions de l’implantation des CEG dans le monde rural. La plupart sont dans les années 1960 des établissements communaux, impliquant les élus locaux dans leur ouverture, éventuellement gestion, distinguant ainsi selon les lieux des configurations très diverses, sur fond également de rivalités laïques/catholiques dans l’Ouest, particulièrement fortes dans les campagnes. La carte scolaire aujourd’hui associée aux espaces urbains a été créée en 1963 pour le monde rural (et les CEG)[15]. Parmi les jeunes, dont la place dans le monde rural peut être intéressante à restituer, figurent les enseignants débutants affectés dans ces établissements, d’origine urbaine ou rurale, appartenant au « primaire » (maître de cours complémentaire puis PEGC) ou au secondaire. Mais ce sont surtout les instituteurs et institutrices, très jeunes, qui font l’expérience des postes les plus isolés : leurs témoignages livrent des éléments sur la jeunesse rurale, ses modes de vie, mais également sur la condition des jeunes enseignants de ces décennies, leur rapport à la société locale etc.

Les témoignages, les entretiens : place dans le projet

Malgré les progrès de la scolarisation, la mise au travail précoce reste le sort d’une grande partie des jeunes, avec ou sans apprentissage : jusqu’à la fin des années 1950 presqu’un jeune sur deux n’est plus scolarisé au-delà de 15 ans. Les statuts d’« apprentis » sont particulièrement nombreux dans le monde rural, dans l’artisanat, le commerce – en particulier pour les filles – mais aussi l’agriculture. Des sondages pourraient être effectués dans les archives des services de la main d’œuvre, des chambres des métiers ou d’agriculture, ainsi que celles de la mutualité sociale agricole qui emploie des assistantes sociales. L’ouvrier d’industrie rural est fréquemment oublié : celui de l’industrie diffuse des Mauges (Maine-et-Loire), de Picardie ou encore des petits bourgs industriels, avec parfois de grosses concentrations industrielles. Les jeunes ouvrières rurales sont encore plus méconnues : très jeunes salariées que Moulinex recherche en Basse Normandie, ouvrières de l’agroalimentaire ou du textile d’autres régions. À destination de ces jeunes salariés et surtout des apprentis existe tout un ensemble de dispositifs de formation – théoriquement obligatoires­, surtout dans le domaine agricole. Les formations postscolaires agricoles destinées aux 14-17 ans sont une réalité importante des années 1950, objet de rivalités idéologiques aujourd’hui oubliées entre laïques et catholiques, mais également entre Éducation nationale et ministère de l’Agriculture, dont le volet féminin ne doit pas être négligé[16].

Les mobilités des jeunes : « ceux qui restent et ceux qui partent »[17]

Elles prennent une importance nouvelle, tant au niveau collectif avec les transports scolaires – quelques départements pionniers dès les années 1950[18] – mais aussi au niveau individuel : deux roues (bicyclette, motocyclette), automobiles pour les plus âgés et les plus fortunés. Les travaux de sociologie ont montré pour les années 1990-2000 comme la surmortalité routière frappait spécifiquement les jeunes garçons ruraux de milieu populaire[19].

L’exode rural qui concerne principalement les jeunes[20] a donné lieu à de nombreuses enquêtes de géographie dans les décennies étudiées qui pourraient être remobilisées pour étudier l’usage qui a pu être fait de cette thématique par différents groupes de pression. Les sources télévisuelles, y compris celles de la télévision scolaire, seraient également à explorer[21].

Jean-Claude Farcy avait montré comment le salariat agricole n’était supportable que parce qu’il s’agissait pour beaucoup d’un état transitoire associé à la jeunesse, préalable à l’installation sur l’exploitation familiale, singulièrement dans l’Ouest[22]. Ces pratiques semblent perdurer dans les années 1950 dans les régions qui avaient conservé une population agricole importante et où l’exode rural devient massif au cours des décennies qui nous préoccupent.

Les déplacements des jeunes – dont la temporalité évolue au cours de la période – se font très majoritairement à l’échelle du département : ils gagnent souvent le chef-lieu, du moins avant le départ au service militaire pour les garçons, le retour de celui-ci marquant une étape qui peut s’accompagner de déplacements plus importants. Ils forment ainsi largement plus des trois-quarts des résidents des foyers de jeunes travailleurs qui se multiplient à partir des années 1950 pour accueillir les jeunes migrants dans les villes. Les foyers de jeunes filles très hétérogènes méritent d’être étudiés, d’autant plus qu’ils veulent être encore davantage que pour les garçons un lieu d’initiation à la vie urbaine. La question du logement en ville, du moins dans les années 1950, concerne particulièrement les jeunes venus de la campagne. Dans certains départements, les concours d’entrée dans les centres d’apprentissage puis CET exigeaient un barème plus élevé pour les places avec internat, ce qui rendaient la sélectivité plus forte pour ceux qui ne pouvaient être demi-pensionnaires, en particulier les ruraux.

 La jeunesse rurale se limite donc pas uniquement à celle qui reste à la campagne, mais inclut celles et ceux des jeunes qui partent en ville, et qui sont perçus comme des « migrants », selon une expression très fréquente à l’époque.

Récits, expériences, expression des jeunes ruraux

Récits autobiographiques, biographies, Littérature ?

Les années 1950 et le tout début des années 1960 sont un moment d’apogée des organisations de jeunesse et d’éducation populaire dans le monde rural, tant du côté des mouvements catholiques qui ont donné lieu à des travaux[23] que du côté laïque où des instituteurs organisent sous des noms variés – d’amicales laïques à foyer – des activités diverses : cinéma, théâtre, surtout voyage annuel de groupes de jeunes qui produit l’acculturation des ruraux aux pratiques touristiques et témoignent également de la volonté d’affirmer la vitalité de celles et ceux qui restent (au moins temporairement) au village ou au bourg. Les fêtes, plus rarement des festivals, témoignent de certaines formes organisées d’expression de parties de jeunesses rurales.

Rallye-Jeunesse lancé par la JAC en 1958 est un exemple unique de périodique spécifiquement destiné aux jeunes ruraux, tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, qui prétend également leur donner la parole. L’expression des jeunes peut également s’entendre d’une manière un peu plus spontanée à travers les archives de l’enquête Missoffe de 1966, qui sont classées selon une base géographique[24]. Il existe sans doute d’autres lieux où la parole des jeunes ruraux s’est exprimée, dans des journaux et cahiers personnels, dans des écrits intimes ou produits dans le cadre de recueil par des institutions, des entretiens pourraient être menés également de manière à saisir comment jeunesse rurale s’est faite.  

Jeunesses rurales « irrégulières »

Faits divers ? Presse régionale ?

Depuis le XIXe siècle, les campagnes font office de lieu de placement d’enfants de l’Assistance publique, confiés à des nourrices et des familles, ainsi que d’enfants de justice dans le cadre d’une éducation correctionnelle privilégiant, au moins pour les garçons, l’éloignement des villes considérées comme corruptrices. Cette tendance ne faiblit pas avant les années 1950, alors que la proportion de jeunes urbains est toujours largement majoritaire dans les estimations statistiques des tribunaux pour enfants et que les internats de rééducation continuent d’encadrer et former de futurs ouvriers agricoles ou d’industrie. Pour autant, est-ce à dire qu’il n’y aurait qu’une jeunesse dite « irrégulière » issue des milieux populaires urbains ? La force de l’exode rural ainsi que les représentations nourries par les médias depuis le début du XXe siècle, des Apaches parisiens aux Blousons noirs, tendent à renforcer ce stéréotype. La délinquance juvénile en milieu rural reste assez peu documentée après la Seconde Guerre mondiale et garde en apparence une certaine permanence autant qu’une relative spécificité : violences, vols, infractions aux mœurs, infractions attribuées au milieu (chasse, pêche, bris d’objets d’utilité publique…). Sans doute les archives judiciaires auprès des tribunaux pour enfants – départementalisés à partir de 1951 – donneraient des informations pertinentes sur le traitement judiciaire des affaires en milieu rural. Notamment, cela permettrait de renseigner l’éventuelle progression de la judiciarisation de faits cantonnés jusque-là souvent au règlement infra-judiciaire.

Mais au-delà des faits de délinquance, dans les années 1950, l’heure est plus largement à « l’enfance inadaptée », entraînant une définition extensive des déviances juvéniles, incluant enfants et adolescents « déficients », « caractériels » ou plus tard « handicapés » dans les politiques sociales et éducatives. Des associations régionales et départementales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (Arsea et Adsea) développent leurs services dans le monde rural au fil des années 1950, de même que le champ du handicap se constitue par le biais d’associations locales de parents, qui font naître de nombreux établissements pour des populations qui jusque-là restaient dans les familles et au village. Le milieu rural est l’objet de politiques de prévention et de dépistage ainsi que de rééducation. Sur ce plan, la formation professionnelle constitue un des éléments de la réforme de la prise en charge des mineurs. Le travail occupationnel cède la place à des formations professionnelles au sein des instituts médico-pédagogiques, centres de rééducation et autres internats. On sait encore peu de choses à la fois sur la part de ces institutions dans la formation professionnelle, alors même que des milliers de garçons et filles y ont passé un Cap ou Bep et y ont appris un métier ; le plus souvent des métiers considérés comme « essentiels » pour les garçons (mécanique, chaudronnerie, forge, menuiserie, travaux du cuir, travaux du bâtiment, travaux agricoles) et formation ménagère, parfois avec dominante « rurale » pour les filles.

Et puis, la jeunesse rurale n’est pas cantonnée à la campagne et avec l’exode massif, elle se trouve aussi en ville, au risque parfois, selon les spécialistes, d’un déracinement engendrant une « désadaptation ». Au tournant des années 1960, au sein de l’Éducation surveillée[25] on s’intéresse ainsi à ce passage du milieu rural au milieu urbain, qui ferait partie de la « reconversion » en cours, et à la transplantation de ces jeunes[26]. Grâce aux études et rapports divers produits par les institutions en charge de la jeunesse (Justice, Santé, Affaires sociales, Éducation nationale), aux revues professionnelles, tant la jeunesse suscite alors de l’écriture, on pourrait chercher à dresser des portraits de ces jeunes transplantés. Les corpus de dossiers de mineurs de diverses institutions de placement, parce qu’ils ont recueillis la parole de jeunes avec minutie (à travers entretiens, rédactions ou encore dessins), offriraient peut-être une ouverture vers des trajectoires individuelles et collectives ainsi qu’à l’expression des jeunes eux-mêmes, notamment sur le milieu rural qu’ils ont quitté.  

La jeunesse est diverse, celle des campagnes également. Nous pensons que le réseau des correspondants de l’IHTP offre l’opportunité de multiplier les perspectives et d’apporter une expertise au plus près des archives et des situations diverses qu’elles documentent. Notre souhait est de faire de cette enquête de longue durée un travail stimulant pour tou.te.s, collectif et collaboratif. Le fait que les chercheurs et chercheuses qui se mobilisent au sein de ce réseau soient aussi des spécialistes de la jeunesse, en tant qu’enseignant.e.s, est particulièrement de bon augure. Et puis, le réseau va permettre, à l’instar de certaines enquêtes précédentes, d’articuler différentes échelles, notamment entre le local et le national, de manière à redonner de l’épaisseur historique au plus près de ces jeunesses rurales.


Cette recherche à venir bénéficie d’ores et déjà de l’appui de l’IHTP, de l’université de Tours, mais également d’une subvention annuelle du fonds de dotation Françoise Tétard, qui vise à soutenir la recherche sur l’histoire de la jeunesse.

Laurent Besse et Samuel Boussion

Bibliographie indicative

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Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte, 2005.

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Anne-Marie Sohn, Âge tendre et tête de bois : histoire des jeunes des années 1960, Paris, Hachette Littératures, 2001.


[1] Alfred Sauvy, La montée des jeunes, Paris, Calmann-Lévy, 1959.

[2] Françoise Tétard (1953-2010). Le fonds de dotation Françoise Tétard qui vise à faire connaître son œuvre et à soutenir les recherches sur l’histoire de la jeunesse et soutient financièrement le projet IHTP « Jeunesses rurales, années 1950-1960 » : https://fondsdedotationfrancoisetetard.eu/

[3] Dans les discours des années 1950-1960, les « jeunes migrants » désignent non pas les « jeunes étrangers », mais les jeunes ruraux arrivant en ville.

[4] Clyde Plumauzille, Mathilde Rossigneux-Méheust, « Le stigmate ou « La différence comme catégorie utile d’analyse historique », Hypothèses, 2014/1 (17), p. 215-228.

[5] Gérard Béaur, « Le renouveau de l’histoire des campagnes », Le Mouvement Social, vol. 277, no. 4, 2021, p. 3-20. Ce mouvement donnera lieu notamment à : Georges Duby et A. Wallon (dir.), Histoire de la France rurale, Paris, Seuil, 1975-1976, 4 vol.

[6] Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle, Paris, éd. Christian, 2004.

[7] Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Paris, Fayard, 2007.

[8] Dossier du Mouvement social, n° 281, oct-déc. 2022 dirigé par Stéphane Lembré, Marianne Thivend, « Formation professionnelle et travail des jeunes années 1950-années 1970 ».

[9] Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, éd. La Découverte, 2005 ; Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, Paris, La découverte, 2019.

[10] Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2021.

[11] Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ?  op. cit.

[12] La première génération concernée par l’obligation est celle qui atteint 16 ans en 1967.

[13] Sur le CAP, voir les travaux de Gilles Moreau, dont : « « Le CAP un diplôme qui fait la différence ? Le CAP dans les années 1950-1970 », Le Mouvement social, oct.-déc. 2022, p. 119-136.

[14] Thérèse Charmasson, Michel Duvigneau, Anne-Marie Lelorrain, Henri Le Naou, L’enseignement agricole, 150 ans d’histoire. Évolution historique et atlas contemporain, Dijon, 1999, Éducagri.

[15] Malorie Ferrand, « Le réseau de CEG de l’académie de Grenoble (1959-années 1970) », Histoire de l’éducation, 153, 2020, p. 119-144.

[16] Jérôme Pelletier, « Pour une histoire de l’enseignement agricole féminin durant les années 1950-60 : les écoles ménagères agricoles du Loir-et-Cher ou l’éducation contrariée au rôle de femme d’exploitant », Genre & Histoire, n° 18, Automne 2016, [En ligne] http://journals.openedition.org.proxy.scd.univ-tours.fr/genrehistoire/2573

[17] Jacques Delrieu, Ceux qui restent et ceux qui partent, I : De la terre à l’usine ; II : Les paysans de Paris, Montrouge, IPN-CNDP, 1968,[En ligne] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k13204477

[18] Des enjeux importants pour l’Éducation nationale qui a pu réduire le réseau des écoles élémentaires mais aussi rationaliser la carte des collèges.

[19] Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, Paris, La Découverte, 2005.

[20] Robert Marconis, « Les filières d’exode rural : l’exemple d’une commune du Lot », Revue géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, tome 47, fascicule 2, 1976, p. 181-192.

[21] Jacques Delrieu, Ceux qui restent et ceux qui partent, I, op. cit.

[22] Jean-Claude Farcy, La jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle, Paris, 2004, Éditions Christian.

[23] En particulier la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) devenue MRJC (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne) en 1963. Vincent Flauraud, La JAC dans le Massif Central méridional : (Aveyron, Cantal) : des années 1930 aux années 1960, thèse d’histoire, Aix-Marseille 1, 2003. Voir également, Bernard Giroux (dir.), Voir, juger, agir, Action catholique, jeunesse et éducation populaire (1945-1979), Rennes, 2022, PUR.

[24] En 1966, le ministre de la Jeunesse et des sports, Missoffe lance ce qui se veut la première enquête sur la jeunesse en France, parfois appelée Livre blanc.

[25] Créée comme direction autonome au sein du ministère de la Justice en 1945, l’Éducation surveillée deviendra Protection judiciaire de la Jeunesse (Pjj) en 1990.

[26] Henri Michard, Les incidences de la reconversion sur la délinquance juvénile, contribution pour la Fédération française des travailleurs sociaux, 1961 (Fonds École nationale de la Protection judiciaire de la jeunesse).

  • Publication : "Accueil des étrangers"

    Dans le cadre de l’enquête du Réseau départemental des correspondants de l’IHTP, « Accueillir les étrangers en France, 1965-1983 », vient d’être publié l’article suivant : Michel Hastings,…

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  • Hommage à Jean-Marie Flonneau

    Sylvain Négrier

    Ancien correspondant départemental de l’IHTP pour le Loiret, Jean-Marie Flonneau vient de nous quitter à l’âge de 74 ans. En tant que correspondant de l’IHTP, il a contribué à plusieurs campagnes de travail collectif dans les années 1990 et a coordonné avec Dominique Veillon l’enquête sur « Le temps des restrictions 1939-1949 » (Cahiers de l’IHTP n° 32-33, 1996).

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  • Réunion Des Correspondants Départementaux Le 10 Mai 2017

    « Accueillir les étrangers en France, 1965-1983 » : dans le cadre de la mise en commun des sources collectées, tous les correspondants présents ont exposé l’état de leurs recherches. Il s’agissait de proposer une première cartographie des sources qui permettront de mettre en évidence les formes de l’accueil de l’étranger sans focalisation sur un sujet précis.

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